Dans une société où les humains ont soif de leurs outils pour se sentir exister, dans un monde où l’on se sent seul si l’on est coupé de son smartphone, où la foule marche en ne regardant ni ses congénères ni le chemin qu’elle emprunte pour se déplacer pour chercher un « like » facebookien ou un « cœur » sur un sms, un immense mouvement envahit les entreprises : la « dématérialisation ».
Ce qui est formidable dans la langue française, c’est que sa richesse nous permet de ne pas se tromper sur le sens du mot ; on sait ce qui nous attend… Le lien « matériel » qui unit une organisation et son salarié, devient « immatériel ».
Ainsi, comme les banques où nos fournisseurs préférés l’ont fait depuis quelques années, les documents ne sont plus imprimés mais envoyés de façon numérique. Wikipedia nous renseigne sur la finalité attendue de cette action : « Elle vise une efficacité accrue en permettant une gestion entièrement électronique ».
Mais que se cache derrière le mot « efficacité » en RH ?
La vraie question à se poser est ; quel objectif recherche une entreprise quand elle envoie tel ou tel document ? Le bulletin de paie revêt un caractère informatif, technique, où le salarié n’y contrôle souvent que le net et le calcul de ses congés payés, la convocation à une visite médicale renseignera sur un lieu et une date. Il en va de même pour la notice de prévoyance, la brochure d’épargne salariale… Nous sommes dans la transmission d’une information qui ne véhicule aucune émotion ou intention.
Quand j’observe en revanche que de grands groupes qui transmettaient des BSI (Bilan Social Individuel) sur un six volets cartonnés, soigné, ont remplacé cet imprimé par l’envoi d’un document numérique, je m’interroge.
Quel est l’enjeu de l’envoi d’un document nominatif ? Il reprend tous les éléments de la rémunération. Il se doit d’être pédagogue, de redonner du sens à la politique de rémunération perçue souvent comme un ensemble d’informations déconnectées les unes des autres afin de lui faire prendre conscience de l’ensemble des avantages dont il bénéficie. Il souligne sa performance, et devient un indicateur de valeur. Savez-vous que certains candidats viennent en entretien avec ce document comme gage de leur performance ? Reconnaître un collaborateur, c’est lui montrer l’attachement que l’organisation lui porte. Le bilan est « individuel », la personne est « unique ».
Le BSI véhicule une intention d’émotion : la fierté, le « sentiment » d’appartenance
A l’heure où les annonceurs nous écrivent des courriers complètement personnalisés, en y adjoignant des photos ou informations qui sont gage de leur excellente connaissance de qui nous sommes, à l’heure où l’homme est en pleine quête de repères, est-il urgent de « dématérialiser » ce qui fait la richesse des organisations ; le lien entre l’entreprise et ses collaborateurs. Cette précipitation n’est pas contre-productive ? Est-ce au salarié de s’adapter aux outils quitte à se sentir désorienter ? Et si pour une fois, on « re-matérialisait » nos messages pour s’assurer de leur impact?
Elvire Daudigny del Fondo
Administrateure Xplor France
Audigny Consulting