Interview Xplor de Frédéric LOUINEAU – Directeur Général Adjoint de DataOne
Xplor : La crise sanitaire impacte de nombreux secteurs, est-ce que selon vous, elle a créé de nouveaux facteurs de Volatilité sur votre marché ?
FL : Effectivement, la crise sanitaire a généré une grande volatilité des comportements sur le marché de la Communication Client Digitale et Papier (CCDP). Tant la communication pour le Transactionnel que le Marketing Direct a subi des perturbations dans la demande et dans la production. Le papier et le digital se côtoient depuis quelques années mais cette crise que n’imaginions que dans les livres d’histoire a totalement réuni les deux technologies.
Aujourd’hui, la crise sanitaire a aussi pour conséquence une inflation des prix des matières premières et de l’énergie à un niveau jamais rencontré jusqu’à ce jour. Lorsque l’on gère des centres de production de documents à haut-volume, quand on est contraint par des rythmes de production réguliers, hebdomadaires ou mensuels ; lorsque les volumes de production sont stables depuis des années et que les destinataires de nos clients changent leurs pratiques ; lorsque nos clients comme nous même sommes saisis par surprise par un confinement total ; lorsque les engagements contractuels sont pluriannuels et négociés au prix les plus bas… Est-il étonnant de devoir engager des discussions avec les clients ? Des discussions à distance en Visio… Alors oui, la volatilité a pris le dessus sur toute autre considération.
Cependant, si tous ces facteurs nous ont tous conduits à d’inévitables changements de nombreux facteurs économiques, force est de constater des conséquences extrêmement positives. En effet, nous avons beaucoup plus dialogué avec nos clients qu’à l’habitude. Nous avons souvent rencontré du stress mais jamais d’agressivité. Empathie et compréhension ont pris le pouvoir de la relation client. Face à cette nouvelle expérience de la relation commerciale à l’aide des technologies digitales, ensemble nous nous sommes adaptés. Nous pouvons même aujourd’hui, constater que la situation de crise a renforcé la confiance mutuelle entre nos clients et nous, leur prestataire de service.
Pour en terminer avec votre question, nous pouvons parier sur l’avenir à court et moyen terme que nous n’en avons pas terminé avec la volatilité mais, c’est en confiance que nous la traiterons.
Xplor : Comment voyez-vous l’avenir à quelles incertitudes pensez-vous devoir faire face ?
FL : Les incertitudes auxquelles nous devons faire face sont déjà présentes : Nouvelle vague pandémique, Reprise économique durable ou pas, Inflation continue ou stabilisation, … etc.
La bonne nouvelle c’est que tous les acteurs du domaine de la Communication Client Digitale et Papier sont tous logés à la même enseigne. Nous sommes tous confrontés aux mêmes réalités et ce n’est donc pas de là que viendront les nouvelles incertitudes.
D’un autre point de vue, la crise sanitaire est une opportunité. Nous avons tous dans le secteur plus ou moins évolué vers le développement de la communication numérique. Maintenant, nous sommes au point. La Transformation Numérique à marche forcée du début de confinement a conduit à une explosion du numérique dans les communications internes avec les collaborateurs et entre collègues.
Le ‘collaboratif’ s’est imposé. En revanche dans le marketing direct, cela n’a pas été l’explosion que l’on aurait pu imaginer. Le document couleur de promotion commerciale reste bien vivant et impactant.
Pour en revenir aux incertitudes de demain, on peut aujourd’hui encore s’interroger sur les qualités réelles du numériques versus les qualités du support papier. Je ne prendrai qu’un exemple pour ne pas être trop long. Les interrogations actuelles vont bon train en ce qui concerne le développement durable. Faut-il passer au tout électronique pour limiter les émissions de Gaz à Effet de Serre ? Est-il préférable d’en rester à la filière papier avec des pâtes à papier aux ressources maîtrisées et durables ? Il faudra certainement clarifier plus avant ce sujet dans un avenir proche.
Il faudra évidemment prendre en compte aussi l’hyperpersonnalisation de la communication digitale et son coût écologique. Ou encore, il faudra répondre à la question de la blockchain opposée aux techniques plus traditionnelles et mettre en évidence les coûts cachés de la technologie des données numériques pour se faire une idée plus précise de l’avenir. J’ajoute que les modèles de ciblage dynamique par apprentissage profond devront aussi nous livrer leur coût réel pour la planète. Aura-t-on les moyens financiers et les ressources pour utiliser ces modèles d’automatisation de la pertinence des ciblages pour tous les documents. Il y a là une incertitude à lever.
Xplor : Alors que la tendance est à la simplification des offres voyez-vous de nouvelles complexités dans vos métiers ?
FL : Aujourd’hui, le principal facteur de complexité que nous rencontrons est directement lié aux conséquences de la crise sanitaire. Il s’agit du coût des matières premières. En particulier, la pâte à papier et l’énergie ont subi des augmentations de prix considérables. Les répercutions en sont fortes sur les prix finaux vers les clients et sur la remise en question des engagements contractuels. Il faut revenir sur les contrats car les marges trop faibles ou même négatives ne sont pas acceptables.
Qu’en sera-t-il dans quelques semaines ou quelques mois ? Il convient dès aujourd’hui de mettre en œuvre de nouveaux indicateurs et de gagner en flexibilité. C’est une complexité nouvelle qu’il faut maîtriser. En effet, alors que l’on était depuis des années dans une relative stabilité du marché, nous devons aujourd’hui mettre en œuvre des modèles de vente intégrant de nouvelles caractéristiques pour prendre en compte ces facteurs de variabilité. La fréquence de pilotage des dossiers et projets avec les clients, est inévitablement augmentée pour une gestion plus serrée du besoin et de sa réponse en termes de production et de prix.
Oui, des complexités nouvelles ont vu et verront certainement le jour. Pour autant, nous nous sommes adaptés. Les moyens informatiques de collaboration à distance ont été d’une importance vitale. D’ailleurs rappelons-nous un instant comment chacun d’entre nous a vécu le 11 septembre 2001. À cette époque, le principal moyen d’être informé consistait à allumer une télévision pour regarder, sans nécessairement comprendre et y croire immédiatement, comment les Twin Towers de New-York se sont effondrées. L’internet ne portait pas la vidéo comme aujourd’hui où depuis la maison, on fait passer ses films préférés à la demande et ses communications internet en Visio. Nous vous laissons imaginer ce qui se serait passé si la pandémie et le confinement était survenu en 2001…
Cette communication numérique facilitée par un internet puissant est aussi parfois un facteur de complexité de notre quotidien. Nous sommes sous l’emprise de multiples canaux de communication : Courrier, Téléphone, SMS, courriel, Chat, Visio, Intranet, Web, Superviseur, … Si cela multiplie l’adressage des messages du marketing direct pour la promotion commerciale, cela génère aussi des efforts individuels supplémentaires dans le travail pour ne rien oublier. En d’autres termes, l’Expérience Client gagne en richesse pendant que l’expérience collaborateur du client et/ou du prestataire croit en complexité.
Xplor : Identifiez-vous de nouveaux facteurs d’ambiguïté ?
FL : Nous avons remarqué que les idées préconçues du marché sont parfois un facteur d’ambiguïté. Rappelons-nous ces campagnes d’affichage dans notre capitale décriant le papier pour ses méfaits en termes d’émission de gaz à effet de serre… « Il faut imprimer moins » mentionnaient ces affiches, car le papier imprimé était soi-disant, mauvais pour la planète. Sans être un défenseur intégriste du papier et prônant plutôt le document hybride, nous devons rappeler qu’en France la filière papier est vertueuse
(Ndlr Xplor : Selon une étude ADEME, la production d’une page A4 représente 4,58 g de CO2 et un courriel avec une pièce jointe de 1Mo représente 19g de CO2). Par ailleurs, selon une enquête de Human & Green Consultants, une feuille A4 imprimée génère 10,22 grammes de CO2. Ces valeurs sont données à titre indicatif et restent très difficiles de comparer ces chiffres qui ne prennent pas en compte les moyens de production ou de conservation.)
Sans pouvoir trancher à ce stade sur le qui a raison ou tort, considérons de façon plus pratique une règle de principe pour lever les ambiguïtés. Il s’agit dans la communication client digitale ou papier d’adresser un document hybride au bon moment, avec le bon message sur le bon canal. Nous visons ces objectifs au quotidien évitant ainsi un maximum d’ambiguïté dans la relation client et sa maîtrise de l’expérience lecteur des cibles visées.
J’ajouterai pour terminer sur une ambiguïté récente dans le choix de l’opérateur de distribution des courriers. Là, l’enjeu est de déterminer si l’acteur historique, La Poste, doit se voir confier cette tâche ou bien si un opérateur alternatif tel qu’Adrexo, doit être choisi. Les cas de distribution les plus économiques et efficients restent à creuser. De la même façon, si aujourd’hui on distribue traditionnellement le courrier à J+2 et J+4, on peut s’interroger encore sur l’intérêt d’une distribution à J+3 à J+4 ? Gageons que l’avenir lèvre l’ambiguïté aussi sur ces points.
Xplor : Nous avons couverts de nombreux sujets. Avez-vous des points à ajouter ?
Nous pourrions conclure car en appliquant la grille d’analyse VUCA à la situation actuelle de la Communication Client Digitale et Papier, nous avons effectivement couvert quelques-uns des sujets les plus saillants d’aujourd’hui.
Nous terminerons donc plutôt en mentionnant que l’Histoire (passion de FL) est un éternel recommencement dont on apprend et dont on continue à ne pas apprendre. Par le passé on a capitalisé souvent sur les retours d’expérience de nos projets clients pour progresser. Et pourtant, un virus a chamboulé tous les équilibres. Notre secteur, comme d’autres, doit maintenant s’adapter. Chacun a ses méthodes et ses approches pour cela.
Nous manquerions à notre devoir envers l’association Xplor, pour mentionner que c’est par l’échange entre membres (conseils, éditeurs, constructeurs, prestataires, clients utilisateurs) que nous pouvons par la confrontation et l’analyse nous adapter plus vite.
D’ailleurs, pour terminer nous pourrions dire que la morale des propos que nous avons tenus sur monde VUCA d’aujourd’hui peut se résumer en une devise : « Vivre avec son temps, sans oublier le passé et faire preuve d’agilité à l’avenir »
Propos recueillis par
Jean-Pierre BLANGER – Ricoh
Vice-Président Communication Xplor France